Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

littérature suisse - Page 9

  • Jacques Roman à la Mère Royaume

    images-2.jpegLundi 7 mars, de 18h30 à 20h00
    Soirée exceptionnelle autour du comédien et auteur
    Jacques Roman
    Animation : Serge Bimpage. Avec la participation de Vincent Aubert, comédien


    Pour offrir un plus vaste espace aux passionnés de littérature romande, la Compagnie reçoit désormais ses auteursau restaurant de la Mère Royaume, 4 Place Simon-Goulart (parking à la gare Cornavin)
    Bar, possibilité de se restaurer après.

    Nous recommandons vivement la cuisine de Loumé !


    S’il est un homme dont l’imprévisibilité généreuse installe un climat poétique et d’échange, c’est bien Jacques Roman. Avec lui, et autour de son œuvre, nous envisagerons l’importance de la lecture et de l’écriture comme autant de formes de résistance.

  • L'Amour nègre séduit Paris

    lAmourNegre2.jpg« Ces dernières années, les écrivains de Suisse alémanique ont fait main basse sur les prix littéraires parisiens. En 2008, Charles Lewinsky obtenait le prix du Meilleur livre étranger tandis qu'Alain Claude Sulzer décrochait le Médicis étranger. L'an dernier, c'est Matthias Zschokke qui a été couronné par le Femina étranger. Mais point de Romand depuis belle lurette! Une génération a eu le temps de grandir depuis le Médicis de l'essai attribué à Georges Borgeaud en 1986. Sans parler du fameux Goncourt de Jacques Chessex qui remonte à 1973... Le prix Interallié qui vient de récompenser «L'amour nègre» de Jean-Michel Olivier est donc un événement.

    De retour dans son appartement genevois, Jean-Michel Olivier a la tête encore bourdonnante de l'agitation parisienne. Dans sa cuisine, devant un café, il raconte sa journée de mardi: «Je suis arrivé à Paris le matin et je me suis rendu chez mon éditeur. Bernard de Fallois m'a reçu dans son bureau. C'est un personnage: ami de Malraux, exécuteur testamentaire de Marcel Pagnol, il a 84 ans et continue de tout diriger dans sa maison d'édition. Le téléphone a sonné. Fébrile, Bernard de Fallois a répondu et m'a tout de suite dit que c'était une bonne nouvelle...»

    Un quart d'heure plus tard, l'écrivain et son éditeur sortent du métro et se pointent au restaurant Lasserre, non loin des Champs-Elysées, où le jury de l'Interallié se réunit depuis 1930. Journalistes et photographes sont là en nombre. Jean-Michel Olivier plonge dans ce bain de notoriété. Puis vient le rite de l'apéro et du repas avec les jurés: «Tout s'est passé de manière très naturelle, comme s'il y avait eu un grand ordonnateur de la cérémonie.» L'auteur de «L'amour nègre» est reconnaissant à l'éditeur Vladimir Dimitrijevic (le patron de L'Age d'homme où il a publié l'essentiel de son oeuvre) d'avoir cru en son roman: «Il a pressenti que c'était un gros morceau et qu'il fallait le coéditer avec de Fallois.»

    Vaudois ou Genevois
    Dans 24 Heures, on présente volontiers Jean-Michel Olivier comme un «écrivain vaudois» né à Nyon en 1952. Dans la Tribune de Genève, les critiques parlent plutôt d'un «auteur genevois» et, n'en déplaise aux voisins vaudois, ils ont quelques arguments de leur côté. C'est au bout du lac, en effet, que Jean-Michel Olivier a fréquenté l'Université où Jean Starobinski et Michel Butor donnaient leurs cours. Et c'est à Genève qu'il vit depuis lors.

    1978 est pour lui une date clé. Cette année-là, Jean-Michel Olivier devient professeur au Collège de Saussure, au Grand Lancy, où il continue aujourd'hui d'enseigner le français et l'anglais. Et c'est en 1978, aussi, qu'il emménage dans un immeuble vétuste de la rue du Fort-Barreau, derrière la gare Cornavin. «J'ai commencé à écrire sérieusement quand je suis arrivé ici. Il y a dans cette maison un côté bohème qui lui donne un petit air de Chelsea Hotel...»

    Un de ses voisins est un traducteur du psychanalyste Georg Groddeck. Une chanteuse d'opéra habite à un autre étage. Si l'on en croit certaines rumeurs, Lénine lui-même se serait arrêté à cette adresse où, un soir de 1917, il aurait déniché la perruque sous laquelle il s'est dissimulé à son retour en Russie. Dans un récit touchant de 2008, «Notre dame du Fort-Barreau» (L'Age d'homme), Jean-Michel Olivier raconte cet immeuble et sa propriétaire excentrique: «C'est bien à tort que l'on croit habiter certains lieux, alors que ce sont eux, souvent, qui vous habitent.»

    Au clavier
    Dans son bureau, les parois de livres montent jusqu'au plafond. On repère une guitare posée sur une armoire. Et un piano logé sous la mezzanine. Une ou deux heures par jour, Jean-Michel Olivier s'installe devant le clavier. Ses goûts le portent vers le jazz. Il écoute Bill Evans, Oscar Peterson, Brad Mehldau. «Dans le jazz, j'aime l'improvisation que je retrouve dans l'écriture. Là aussi, on a beau avoir une trame, il faut toujours sortir des sentiers battus et improviser.»

    Cette oreille musicale fait la qualité de son style vif, rapide, bondissant comme les aventures d'Adam dans «L'amour nègre». Ce roman, qui tient de la fable philosophique comme on en écrivait au siècle des Lumières, montre un bon sauvage arraché à son Afrique natale pour être projeté dans l'univers de la jet-set et de son consumérisme haut de gamme. Un couple d'acteurs hollywoodiens a convaincu le père d'Adam de l'échanger contre un téléviseur à écran plasma. C'est le début d'une aventure féroce, drôle et futée qui va rebondir d'un continent à l'autre avant d'aboutir à Genève. Il y a dans ce roman la même fraîcheur juvénile qui frappe chez son auteur. Comme si la maison de la rue Fort-Barreau l'avait aussi protégé du ramollissement qui vient avec l'âge. »

    Article de Michel Audétat, paru dans Le Matin Dimanche, le 20.11.2010.

    Photo © Magali Girardin

     

  • Écrire d'ailleurs

    images-1.jpeg

    * Le plus souvent, une vie d’homme se résume à deux dates : la naissance et la mort. Aucune des deux pourtant ne vient de nous. Après neuf mois de vie marine, je dois quitter le ventre de ma mère. Ma première maison. Ma première prison. Je passe le seuil. Je vois le jour pour la première fois. Tous ces événements ne dépendent pas de moi. Ils me viennent des autres. C’est une chance. Mais pour s’ouvrir à l’autre, il faut un lieu à soi. La même chose arrive lorsqu’on pousse son dernier soupir. On franchit à nouveau une frontière. D’où, en principe, on ne revient pas. On disparaît ailleurs…

    J’en étais là de mes cogitations métaphysiques, au matin du 16 novembre 2010 — ce 16 novembre qui demeurera pour moi une date aussi énigmatique que le 1er août ou le 11 septembre — quand le TGV Lyria qui devait m’emmener à Paris s’est arrêté en rase campagne entre Bourg-en Bresse et Mâcon. Autant dire au milieu de nulle part. J’y ai vu un signe du ciel : le Prix Interallié, ce n’était pas pour moi. À la prochaine halte, je sortirais du train pour prendre aussitôt celui du retour. Mais il n’y eut pas de prochaine halte. J’arrivai donc à Paris avec une heure de retard. À peine débarqué dans le bureau de mon éditeur, le téléphone a sonné. Puis Bernard de Fallois s’est tourné vers moi et m’a dit simplement : « Jean-Michel, vous l’avez ! » J’étais en nage. On s’est embrassé. Je n’ai pas compris tout de suite ce qui m’arrivait. J’ai su seulement qu’à cet instant précis je passais une nouvelle frontière. « Ne perdons pas de temps, m’a-t-il dit encore. Ils nous attendent. » Qui donc était ces « ils » ? Je n’en avais aucune idée.

    Une journaliste africaine épatante, Sophie Éboué, a recueilli les impressions des membres du jury de l’Interallié quelques minutes avant que j’arrive. Philippe Tesson dit : « C’est excitant. On a beaucoup aimé le livre. Mais on ne connaît pas son auteur. » Un autre, l’élégant Jean Ferniot, rajoute : « On se réjouit de le rencontrer. On ne connaît pas son visage. On ne sait même pas s’il existe. » Un troisième dit encore : « On est heureux d’avoir récompensé un écrivain qui vient d’ailleurs. »

    En quoi, il avait parfaitement raison. Venant de Suisse — je m’en suis rendu compte par la suite, lors des dizaines d’interviews que j’ai données pendant trois jours — je venais de nulle part. D’une sorte de no man’s land sympathique, certes, éloigné tout de même des cartes postales, mais parfaitement inconnu de nos voisins et amis français. J’avais franchi un seuil. J’avais traversé une frontière. Mais il y avait encore un mur. Les frontières permettent le va-et-vient. C’est une marque de modestie et de respect de l'autre : non, je ne suis pas partout chez moi. Mais un mur est difficile à traverser…

    Il y a en Suisse romande deux familles d’écrivains : les nomades et les sédentaires.

    Parmi les sédentaires, on peut classer Ramuz, bien sûr, même si Charles Ferdinand a passé quatorze ans à Paris, loin de son pays natal. Puis il est revenu en Suisse, la tête basse, pourrait-on dire, avec le sentiment d’avoir perdu la guerre. On peut classer Jacques Chessex, qui détestait les voyages, dans cette même catégorie. Il est ancré dans la terre vaudoise. Mais, pour lui, comme pour Ramuz, il faut être de quelque part pour toucher à l’universel.

    images-2.jpegLes nomades, curieusement, sont en Suisse très nombreux. Il y a tout d’abord Cendrars, en vadrouille dès son plus jeune âge. Apprenti horloger à Saint-Petersbourg, puis sautant dans le transsibérien en marche pour sillonner le monde. Il n’a cessé de passer les frontières. Pour se faire reconnaître. Il s’est rêvé révolutionnaire et chercheur d’or, bourlingueur et grand reporter. Il y a ensuite Charles-Albert Cingria, un autre Suisse qui traverse les frontières. À vélo, cette fois. En sifflotant des chants grégoriens. Un écrivain érudit, qui sait mêler, comme aucun autre, la saveur et le savoir. Et qui a toujours la bougeotte. Enfin, bien sûr, il y a notre gloire cantonale : Nicolas Bouvier. « Un voyageur qui écrit — et non un écrivain qui voyage ». Pour lui non plus le monde n’avait pas de frontières. Ou plutôt, Nicolas s’en jouait, les contournait, les traversait en passager clandestin.

    C’est fou comme les écrivains suisses ont envie de fuir leur pays ! Il vaudrait la peine de creuser un jour la question…

    Abattre les murs, oui, mais conserver les frontières, donc.

    Car les frontières sont des rives, disait le poète Jacques de Bourbon-Busset : « elles sont la chance du fleuve. En l’enserrant, elles l’empêchent de devenir marécage. »

    Si ma mère, née à Trieste, puis émigrée à Turin, n’avait pas franchi la frontière suisse, un beau matin de 1947, pour venir travailler à Nyon, dans une clinique psychiatrique qui soigne aujourd’hui les stars de l’audiovisuel français, elle n’aurait pas connu mon père, et moi je n’aurai sans doute jamais reçu le Prix Interallié !

    Si ma femme, qui a franchi une première fois la frontière pour aller s’installer au Canada, à l’âge de 18 ans, suivant les traces de Nicolas Bouvier, je ne l’aurais pas rencontrée en 1997, sous le regard bienveillant de mon ami Claude Frochaux. Et elle ne m’aurait pas suivi en Suisse, franchissant à nouveau la frontière.

    Et mon ami Dimitri, s’il n’avait pas quitté la mère Serbie en 1954, clandestinement, s’il n’avait pas fait sauter tous les rideaux de fer en publiant Grossman et Zinoviev, s’il n’avait pas abattu tous les murs, s’il n’avait pas franchi tant de frontières, serait-il cet éditeur à la curiosité insatiable qui s’est fait le passeur de tant d’écrivains réduits au silence dans leur pays ?

    Et si Adam, alias Moussa dans L’Amour nègre, n’était pas obligé de franchir tant de seuils, de passer tant de frontières, arraché à son Afrique natale, puis trimbalé en Amérique, puis sur une île du Pacifique, puis en Asie, aurait-il eu la chance de rencontrer Gladys, cette femme de banquier genevois, qui va le ramener en Suisse où il pourra connaître son destin et retrouver peut-être Ming, son âme sœur ?

    Ce n’est pas un hasard si le héros de L’Amour nègre change plusieurs fois de nom, comme de passeport. Il s’appelle d’abord Moussa, c’est-à-dire Moïse. Mais il ne connaît pas encore sa mission. Ensuite, ses parents adoptifs l’appellent pompeusement Adam, parce que c’est le premier homme et le denier. Enfin, on lui fabrique un faux passeport rouge à croix blanche qui lui permet de passer toutes les frontières incognito. Son dernier nom est Aimé. Aimé Clerc. Aimé, pour rendre hommage au merveilleux Aimé Césaire, le grand poète de la négritude. Et Clerc pour saluer mon voisin du premier étage, Daniel Clerc, compositeur-typographe, qui a épousé une belle Zaïroise et engendré deux petits Clerc, noirs comme la nuit…

    Dans la vie, comme en littérature, il faut franchir le pas. Il faut traverser les frontières. Il faut sortir de ses prisons.

    C’est à ce prix, sans doute, qu’on a une chance de se faire reconnaître.

    En habitant ici, dans cette ville que j'aime et à laquelle je rends hommage, mais en écrivant toujours d'ailleurs.

     

    *Petit discours improvisé lors d'un dîner organisé en mon honneur par la Ville de Genève, à la Villa La Grange, le mercredi 2 février 2011.